Les dégraissants céramiques comme « marqueurs de migrations » dans les contextes montagneux du bassin tchadien méridional : mise en évidence du principe général et application au cas des piémonts orientauxdes monts Mandara (Cameroun)

  • Author: Olivier Langlois
  • Topic: Younger than 500 BP,Theory and method,Pottery studies
  • Country: Cameroon
  • Related Congress: 13th Congress, Dakar

Situé au coeur de l’Afrique et à la jonction de grands ensembles linguistiques, le bassin tchadien apparaît comme une terre de migrations. Concernant la seconde moitié du second millénaire apr. J.-C., celles-ci sont évoquées par une multitude de récits. Mais, nous savons que ces récits, aux fonctions politiques souvent évidentes, ne relatent pas nécessairement des événements réels. Autant que possible, il convient donc de confronter ces sources orales à d’autres types d’informations, en particuliers aux données archéologiques. Cela est particulièrement vrai concernant les régions montagneuses, souvent considérées comme des « zones refuges », où la question de la migration se pose avec une acuité toute particulière. Les sources orales qui s’y rapportent font souvent état d’une stratification de populations venues d’horizons divers, en particulier des plaines périphériques en proie à une insécurité grandissante. Malheureusement, le caractère « pointilliste » de l’information archéologique relative au bassin tchadien méridional limite sérieusement les possibilités de comparaisons entre les cultures matérielles de ces régions d’accueil et celles des régions de départ supposées. Comment alors assurer que les changements culturels perçus dans les séquences des sites des montagnes refuges sont bien liés à l’arrivée de populations originaires
des plaines environnantes ?

La distribution des pâtes argileuses préparées de nos jours par les potières du bassin tchadien méridional pourrait bien apporter un élément de réponse à cette question. En effet, à l’échelle de l’ensemble du bassin tchadien méridional, on constate que la chamotte et les matériaux organiques sont surtout utilisés comme dégraissants dans les plaines inondables, où ils sont ajoutés aux argiles alluviales, pauvres en inclusions. Les potières des régions montagneuses, qui, elles, peuvent accéder aux argiles d’altération, riches en inclusions, utilisent le plus souvent ces dernières, sans y ajouter de dégraissant. Or les données archéologiques relatives aux piémonts orientaux des monts Mandara (et à la plaine du Diamaré voisine) montrent que la chamotte, puis les dégraissants organiques, apparaissent sur la plupart des sites, au cours du second millénaire apr. J.-C. La carte de répartition des pâtes argileuses actuelles nous amène ainsi à voir dans l’apparition de la chamotte l’indice d’une influence de populations installées dans les plaines alluviales, voire dans certains cas celui de l’arrivée de populations issues des basses terres. Les décors classiquement associés à cette tradition techniques tendant à confirmer cette interprétation, on peut réellement envisager que des populations auparavant installées dans les plaines alluviales sont parvenues au pied des monts Mandara, conformément au modèle de peuplement proposé pour cette région sur la base des sources orales. L’apparition, plus tardive, des pâtes céramiques à dégraissants organiques dans les séquences des sites des piémonts orientaux marque, quant à elle, l’arrivée des potières kanuri dans la région. Mais l’usage de la chamotte et des matériaux organiques en tant que « marqueurs de migration » pourrait ne pas se limiter aux seuls monts Mandara. Dans tous les massifs montagneux du bassin tchadien (Guéra, massif de Poli, monts Alantika, voire plateau de Jos), l’apparition de céramiques ainsi dégraissées est susceptible de marquer une influence, voire une installation, de populations originaires des plaines alluviales. Ces « marqueurs de migrations » peuvent ainsi compenser, pour partie, l’indigence des données archéologiques relatives au bassin tchadien méridional, et ainsi permettre aux archéologues qui y travaillent d’apporter un éclairage sur l’histoire de
son peuplement.


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