Le rôle de la maladie du sommeil dans le dépeuplement des vallées soudaniennes sur le temps long: le cas des foyers de la Bougouriba et du Mouhoun, Burkina Faso.

  • Author: Frédéric Paris
  • Topic: Buildings, towns and states,Historical archaeology,Theory and method
  • Country: Burkina Faso
  • Related Congress: 13th Congress, Dakar

Les problématiques
Les vallées soudaniennes d’Afrique de l’Ouest, du Sénégal à l’Ethiopie, sont caractérisées par un vide démographique récurrent. La maladie du sommeil - la trypanosomiase humaine africaine ou THA - fut incriminée jusqu’en 1950, puis, lorsque cette endémie fut circonscrite c’est la cécité des rivières - l’onchocercose- qui fut accusée de ce sous peuplement. Toute fois de nombreuses études sur l’historique des peuplements des vallées n’ont pu évaluer leur responsabilité respective.

Méthodologie
Afin d’évaluer les dynamiques d’attraction et de répulsion des vallées de la Bougouriba et du Mouhoun au sud-ouest du Burkina Faso, une prospection des sites abandonnés a été réalisée entre 2003 et 2008. Cette archéologie de surface a été croisée avec les données de la tradition orale des villages de repli. La datation de l’abandon est estimée à partir des généalogies -écart intergénérationnel de 30 ans- des fondateurs des villages abandonnés et une échelle de temps basée sur l’érosion des murs en pisé (2,5cm/an).
Les résultats 125 sites d’habitat totalisant 1196 concessions familiales- ont été localisés sur une aire désertée de 526 km2. Ces sites ont été occupés plusieurs fois de suite : en tout ce sont 232 villages qui ont été fondés puis abandonnés. La population cumulée entre 1770 et 1908 est estimée à 25 000 h. Quatre phases sont distinguées :

1) Entre 1740 et 1880, 57 villages sont fondés puis abandonnés pour 95 % d’entre eux à la suite des rivalités territoriales entre les Dian, les Dagara, les Lobi et les Birifor, populations venues du Ghana. 39 sites, soit 68 % seront réoccupés par la suite. A cette époque, la taille moyenne des villages était de 240 h. On peut estimer les populations Pougouli, Yéri et Dian déguerpies par les Dagara, Lobi, Birifor à plus de 10 000 personnes.
2) Entre 1881 et 1908, 109 villages sont abandonnés, 96% (n= 105) sont victimes des flambées de trypanosomiase consécutives aux razzias esclavagistes des Dioula puis des Zerma. La rive droite de la Bougouriba, surtout le pays lobi située en plaine, est beaucoup plus touchée que la rive gauche, peuplée par les Dagara: 74 villages décimés contre 22 et 9 villages sur la rive droite du Mouhoun. La taille moyenne des villages était de 185 h La population décimée a dû atteindre 20000 individus.
3) Entre 1909 et 1945, 24 villages sont abandonnés, 83 % pour cause de THA (n=20) et sans doute de l’onchocercose associée puisque leur taille
moyenne s’est effondrée à 30 h. Les villages d’arrière ligne plus peuplés sont touchés par la THA mais pas au point de disparaître, grâce à l’intervention du Service Général Autonome contre la Maladie du Sommeil dès 1939.
4) Entre 1946 et 1974, 42 villages de 45 h en moyenne sont abandonnés: il s’agit de tentatives de recolonisation des vallées avortées du fait de l’onchocercose. On peut affirmer que le vide de la vallée de la Bougouriba était déjà accompli lors de la pénétration coloniale française et qu’il était
principalement et initialement provoqué par la THA.
Discussion
Les systèmes d’occupation de l’espace précoloniaux étaient intensifs et limitaient le contact par Homme/glossine, avec un habitat et des cultures positionnés sur les sommets d’interfluves et une circulation des personnes limitée liée à l’insécurité qui prévalait alors. Afin d’échapper aux raids des
cavaliers Dioula et Zerma, les populations lobi des villages de plaine se sont réfugiés auprès des galeries forestières dont elles se servaient comme bouclier végétal défensif et ont succombées à la THA transmise par les mouches tsétsé inféodées à ces forêts galeries. La stratégie des habitants des villages adossés aux collines -les Dagara et les Birifor- consistait à se réfugier plusieurs jours durant s’il le fallait dans des galeries souterraines aménagées à cet effet et ont échappé à la THA. L’épidémie « coloniale » de 1925-1945 est liée à la construction forcée des routes par les populations, ainsi que l’ouverture de champs de brousse pour les cultures commerciales qui a augmenté le contact avec les tsétsés au niveau des ponts et radiers, de l’exploitation de la liane à caoutchouc ou de l’ouverture de rizières. En conclusion, c’est principalement la maladie du sommeil qui est historiquement responsable du vide des vallées de la Bougouriba et du Mouhoun.

Mots-clés : Maladie du sommeil ; dynamique de peuplement ; histoire.


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